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Des regards sur la Suisse étrangement familiers

L’exposition “Étrangement familier. Regards sur la Suisse” se tient au Fotomuseum de Winterthour à l’initiative de la Fondation Suisse pour la Photographie, en coproduction avec le Musée de l’Élysée et avec le soutien de Suisse Tourisme. Cinq photographes étrangers ont été invités à donner leur vision de la Suisse.

Ma visite a été trop rapide. Je ne me suis pas donné le temps d’une immersion suffisante, gêné par la voix criarde d’une femme qui donnait une sorte de formation à un groupe de personnes que je suppose malentendantes. Quelques impressions tout de même.

Les cinq photographes invités ont tous choisi un fil conducteur. Le photographe américain Shane Lavalette s’est rendu dans les douze localités où Theo Frey, photographe documnentaire, était allé travailler dans le cadre d’un mandat pour l’exposition nationale de 1939. Il livre quelques images intéressantes, mais ce sont les planches de contact de Frey qui ont le plus retenu mon attention.

Alinka Echeverría (Mexique/GB) a choisi une approche psycho-sociologique : les adolescents, les jeunes entre l’enfance et l’âge adulte, ou quand les frontières se brouillent entre les générations, les genres, etc. J’ai trouvé cette démarche très convenue mais, heureusement, les images valent mieux qu’elle. Soit dit en passant, parler de frontières qui se brouillent et de catégories qui se confondent revient à poser l’existence de ces frontières et de ces catégories. On les réactive d’autant plus qu’on les nie.

Le troisième regard met en scène les hauts lieux touristiques dans les deux sens du mot : ils sont incontournables et ils sont en altitude. Le Pilate, le Schilthorn, le Harder Kulm à Interlaken, et d’autres encore. Les “tableaux photographiques” de de Simon Roberts (GB) jouent sur une double mise en abîme : il photographie ceux qui se photographient, dans des endroits qui surplombent de vertigineux précipices. Les touristes se trouvent exactement à l’endroit requis par l’esthétique générale de l’image. Bien joué.

Je n’ai pas du tout adhéré à la démarche d’Eva Leitolf (Allemagne) dans sa série “Matters of negociation”. Les mots font sens, mais les images présentées en regard sont sans rapport, alors que j’espérais que sa série, qui interroge le plus le terme “patrie”, ferait écho à l’exposition de Lenzbourg dont j’ai parlé dans le billet précédent. Mais non. On peut souligner que le paysage d’un côté de la frontière ressemble furieusement à celui qui se trouve de l’autre côté, mais cela me paraît de peu d’intérêt, surtout quand les images sont aussi plates.

Finalement, ce sont les photographies du Chinois Zhang Xiao que j’ai préférées. Son regard frais, moins surchargé de références que celui des quatre autres, se sert du cours du Rhin comme fil conducteur. Ses images existent pour elles-mêmes. Elles n’ont pas besoin des explications théoriques sans lesquelles celles de ses collègues perdent une partie de leur intérêt.

L’exposition est encore visible jusqu’au 7 mai 2017 à Winterthour. Elle sera reprise au Musée de l’Elysée à Lausanne du 25 octobre 2017 au 7 janvier 2018.

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“Heimat” à Lenzbourg

Le terme “Heimat” n’a pas d’équivalent en français; on pense patrie, mais la patrie, c’est le pays des pères, le Vaterland. Comment rendre le “Heim”, le chez-soi, là où on est à la maison ? Le pays natal ? Le berceau ? L’exposition Heimat à Lenzbourg donne des éléments de réponse, qui s’appuient en particulier sur une vaste enquête auprès de la population à l’occasion de douze fêtes foraines.

Design Studio Roth&Maerchy

Cette espèce de Luna Park pour égarés en recherche de leur lieu propose une succession de stations et d’expériences d’où l’on ressort décontenancé et surpris. C’est donc l’occasion d’une visite patriote dépaysante, en allemand, français et anglais. À l’entrée, demandez la documentation en français et un sac de jetons pour francophones.

Où s’est-on senti le plus chez soi et en sécurité que dans le ventre maternel ? Une première station immersive, son et lumière, tente de reproduire quelque chose de cet univers à l’usage de ceux et celles pour qui c’est un lointain souvenir.

Dès qu’on en sort, on doit traverser des couloirs qui doivent nous faire peur. Pourquoi ? Parce que la Heimat serait située quelque part entre la nostalgie et la peur, selon le psychologue Fritz Riemann.

On revient ensuite à soi pour une séance de psychanalyse devant un écran. Le mien est resté bloqué sur l’allemand en dépit de mes efforts pour l’avoir en français : j’avais peut-être les mauvais jetons. Il s’agit de répondre à des questions. On nous demande de bien répondre, car les réponses permettront de déterminer l’endroit où l’on est vraiment chez soi – et de recevoir un “acte d’origine” tout à la fin. Cette psychanalyse a des accents lacaniens, puisqu’on passe immédiatement après au stade du miroir dans une salle des glaces plus ou moins déformantes, où l’on est confronté à sa propre image.

La salle suivante invite à rencontrer d’autres personnes. Cela se veut personnel, presque intime, car on pénètre dans des maisonnettes contenant leurs objets familiers, avec leur témoignage en vidéo ou en audio seul. J’ai ainsi fait la connaissance d’une étudiante musulmane de Genève, d’un jeune homme qui a trouvé sa heimat en devenant femme, d’un geek qui est partout chez lui à condition d’avoir une bonne connexion internet, et d’une Américaine qui ravive ses origines suisses en cuisinant une soupe au schabziger.

Ausstellung_Heimat_Stapferhaus_Lenzburg – Photo : Anita Affentranger

Où suis-je donc par rapport aux autres ? Dans la salle suivante, mon portrait est projeté au plafond avec celui des autres visiteurs présents dans la salle (les jetons reçus à l’entrée permettent manifestement de nous tracer), d’abord au milieu de la galaxie, puis par rapport à deux grands axes : distance/proximité et changement/continuité. Ma tête n’occupe pas le même lieu que celle de mes voisins, c’est clair.

Ausstellung_Heimat_Stapferhaus_Lenzburg – Photo : Anita Affentranger

La grande roue, à laquelle on accède ensuite, est censée favoriser la rencontre effective avec d’autres personnes, connues ou non, mais c’était le matin, nous étions peu nombreux et je me suis retrouvé seul dans ma nacelle pour trois petits tours au soleil.

Ausstellung_Heimat_Stapferhaus_Lenzburg – Photo : Anita Affentranger

La patrie est thématisée dans une salle plus didactique, en forme de jardin public. Qu’est-ce qu’un vrai Suisse ? Chacun se prononce en votant et les résultats sont rendus visibles. Quels sont les différents statuts des étrangers ? D’où viennent les passeports ? C’est la patrie au sens de nation, les règlements, les droits des uns et des autres, les règles du vivre ensemble.

Ausstellung_Heimat_Stapferhaus_Lenzburg – Photo : Anita Affentranger

Pour finir, après deux bonnes heures de visite et une virée en réalité virtuelle dans l’espace intersidéral, j’ai reçu mon “certificat d’origine”.

Le vôtre vous attend à Lenzbourg jusqu’au 25 mars 2018. C’est dans un bâtiment près de l’arsenal, le Stapferhaus, à 8 minutes à pied de la gare (et non au château). Impossible de se perdre, le chemin est bien balisé.

Au total, une expérience ludique, sensorielle, surprenante, dérangeante, qui, mine de rien, conduit à des réflexions existentielles inhabituelles..

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Résurrection

Pâques est plus facile à accepter comme week-end de vacances (malgré les bouchons) que comme fête de la résurrection du Christ. La résurrection passe mal, même chez les chrétiens. Cela peut se comprendre, mais jusqu’à un certain point seulement, car la foi chétienne a-t-elle encore un sens si on cesse de croire à la résurrection ? La résurrection est le centre, le pivot, la clé qui donne son sens au message de l’évangile. Si Jésus n’est pas ressuscité, autant tout laisser tomber.

Pourtant, même ses disciples ne croyaient pas Jésus quand il leur annonçait qu’il ressusciterait le troisième jour. Et les femmes, qui sont devenues les premiers témoins de la résurrection, ne se sont pas rendues au tombeau parce qu’elles y croyaient, mais pour embaumer le cadavre de Jésus. On reste saisi devant l’attitude des les disciples au moment où il a été arrêté et crucifié. Tous ceux qui le suivaient l’abandonnent et s’enfuient. Pierre affirme à trois reprises qu’il ne connaît pas cet homme, puis le coq chante.

Comment croire à la résurrection ? Charles Colson, qui fut conseiller spécial du président Nixon et l’un des responsables du cambriolage du Watergate, a raconté comment tous les collaborateurs du président, tous ses fidèles, ont fui pour éviter de couler avec Nixon. Ils ont essayé de se sauver, comme les disciples de Jésus. Or, cinquante jours plus tard, au moment de la Pentecôte, Pierre tient un discours à Jérusalem, avec les onze apôtres, où il affirme ceci : “Dieu l’a ressuscité, en le délivrant des liens de la mort, parce qu’il n’était pas possible qu’il soit retenu par elle… Que toute la maison d’Israël sache donc avec certitude que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié.” (Actes 2.24,36)

Ces hommes qui avaient fui, les voici qui annoncent la bonne nouvelle avec assurance. Ils vont bouleverser le monde. Un tel changement ne peut s’expliquer que par un événement tout à fait exceptionnel, et cet événement, c’est la résurrection de Jésus, le Christ. Voilà l’argument de Colson en faveur de l’historicité de la résurrection (dans son livre Aimer Dieu, où il raconte comment il s’est converti pendant qu’il purgeait sa peine en prison).

L’apôtre Paul affirme que si le Christ n’est pas ressuscité, les chrétiens sont les plus malheureux de tous les hommes. Or le Christ est réellement ressuscité et les plus malheureux des hommes ne sont pas ceux qui le suivent, mais ceux qui ne le connaissent pas – ou qui ne veulent pas le reconnaître.

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Pirates

Mon blog a été piraté je ne sais quand par je ne sais qui. Des articles entiers ont été remplacés par des textes bourrés de liens que je me suis abstenu de suivre. J’ai fait le ménage en supprimant ces faux articles. La dernière mise à jour de WordPress a également été appliquée, en espérant qu’elle contient les protections empêchant le retour de ces attaques.

Ces articles ont été perdus. Il s’agit des plus récents, postérieurs au dernier billet publié en date du 1er novembre de l’an dernier. Mon hébergeur conserve des sauvegardes, mais le temps d’apprendre comment les récupérer et retrouver ce qui manque me paraît disproportionné en comparaison de l’intérêt des articles eux-mêmes. Bien entendu, le site Wayback Machine permet de remonter dans le temps d’une quantité de sites web. Hélas, la dernière photographie du mien a été faite le 31 octobre dernier.

En définitive, c’est Google qui m’a sauvé la mise. J’ai fait une recherche à l’aide de mots clés figurant dans les articles perdus et ils étaient répertoriés. En cliquant sur le petit triangle vert, on peut accéder à ce qui est en cache. Je suis à la fois reconnaissant et un peu inquiet : rien ne se perd, clairement !

J’étais content de retrouver la citation du Cercle qui se trouve vers la fin du roman de Dave Egger, parce qu’elle parle des dérives qui sont toujours plus évidentes dans le monde d’Internet. C’était assez visionnaire au moment où cela a été écrit. Et j’ai aussi retrouvé le billet dans lequel j’annonçais que mon roman est parti chez mes relecteurs. Il est maintenant de retour, j’y reviendrai.

Moralité : je dois garder une version locale des textes que je publie, et veiller plus soigneusement aux mises à jour de WordPress. Sauvegarde, sauvegarde, et pas seulement sur le mode automatique.

Et j’ajoute qu’il y a des problèmes ailleurs : en ce moment, le train dans lequel je me trouve ne peut pas continuer sa route en raison d’un dérangement technique à la locomotive. On entend un chef de train faire des annonces d’une voix stressée au haut-parleur.

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Chasseral love part en lecture

Ces dernières semaines, j’ai été occupé à réviser la version 2 de mon roman. La version 3.1 est maintenant prête à partir chez les personnes qui se sont déclarées d’accord de me donner leur avis.

Avec Chasseral love, je n’ai pas voulu faire de la « littérature » : j’ai voulu raconter une histoire. C’est un thriller situé dans la région où je vis, comme le laisse entendre le premier mot du titre. Aujourd’hui, il me quitte pour d’autres yeux et j’ai l’impression qu’il commence à m’échapper. Je crains qu’il soit mal reçu. Je réalise qu’on pourra le trouver choquant, grossier, mal ficelé — ou sans intérêt.

Je suis souvent passé de la fierté au découragement et inversement. Découragement devant les tics d’écriture, les répétitions, les lourdeurs et ces adverbes qui poussent comme le chiendent. Fierté quand je relis un bon dialogue, quand mes personnages vivent leur existence propre, quand l’intrigue rebondit. Puis le sentiment de la vanité de l’entreprise : un éditeur s’intéressera-t-il à mon roman ? Et s’il s’en trouve un, le livre, noyé au milieu de milliers d’autres, trouvera-t-il son public ?

Au début, c’était un jeu, je voulais changer de genre, voir si je parvenais à passer de l’essai au roman. Le verdict va bientôt tomber. Quand je pense à tout le temps que j’ai passé à écrire ce truc, je me demande si je suis dans mon bon sens. Heureusement, je ne pense pas qu’à ça.

Note : cet article a été récupéré le 9 mars 2017 sur Google, où il était en cache. Il fait partie de ceux qui ont été remplacé par des textes “pirates”.

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Une fois que le Cercle sera complet, ce sera la fin

Encore un passage tiré du roman de Dave Eggers, Le Cercle (pages 500-501). Publié en 2013, donc écrit un peu avant, il décrit un processus qui est peut-être en train de se mettre en place sous nos yeux.

N.B: Cet article a pu être récupéré le 9 mars 2017 et replacé à sa date de publication d’origine, parce qu’il était répertorié sur Google et accessible en cache. Comme quoi rien n’est jamais perdu…

 

« Mae, je veux que tu imagines où tout ce truc est en train d’aller.
– Je sais où ça va.
– Mae, ferme les yeux.
– Non.
– Mae, s’il de plaît. Ferme les yeux. »
Elle obtempéra.
« Je veux que tu relies les choses entre elles et que tu réfléchisses pour savoir si tu vois ce que je vois. Imagine. Le Cercle qui dévore tous ses concurrents depuis des années, pas vrai ? Ce qui rend la société de plus en plus puissante. Quatre-vingt-dix pour cent des recherches sur internet à travers le monde se font déjà via le Cercle. Sans compétition, ce chiffre ne va faire qu’augmenter. On sera bientôt à cent pour cent. Maintenant, toi et moi on sait que quand on contrôle le flot d’informations, on contrôle tout. On contrôle presque tout ce que les gens voient et savent. Si on a besoin d’enterrer un élément, définitivement, ça prend deux secondes. Si on veut détruire quelqu’un, il faut cinq minutes. Comment qui que ce soit peut s’opposer au Cercle, s’ils contrôlent toute l’information et les moyens pour y accéder ? Ils veulent que tout le monde ait un compte au Cercle, et ils sont bien partis pour que ceux qui refusent de s’inscrire se retrouvent dans l’illégalité. Qu’est-ce qui se passe après ? Qu’est-ce qui se passera quand ils contrôleront toutes les recherches, quand ils auront accès à toutes les données de n’importe qui ? Quand ils auront connaissance des faits et gestes de tout un chacun ? Quand toutes les transactions financières, toutes les informations médicales et génétiques, quand la moindre parcelle d’existence, qu’elle soit bonne ou mauvaise, passeront par eux ? Quand chaque mot formulé sera véhiculé via un réseau unique ?
– Mais il y a des milliers de moyens de protection avant d’en arriver là. C’est juste impossible. Enfin, les gouvernements s’assureront…
– Les gouvernements qui sont transparents ? Les parlementaires qui doivent leur réputation au Cercle ? Qui a envie d’être détruit dès l’instant où il ouvre la bouche ? Que s’est-il passé selon toi avec Williamson ? Tu te souviens d’elle ? Elle a menacé le monopole du Cercle et, surprise, les autorités fédérales ont trouvé des trucs compromettants sur son ordinateur. Tu crois que c’était un hasard ? C’était au moins la centième personne à laquelle Stenton faisait ça. Mae, une fois que le Cercle sera complet, ce sera la fin. Et tu y as participé. Ce truc de démocratie, Démopower, ou je ne sais quoi, bon sang. Sous prétexte de faire entendre la voix de chacun, c’est la loi de la foule ou la loi de la jungle qui l’emporte; tu as créé une société sans filtre où il est criminel d’avoir des secrets. C’est brillant. Je veux dire, tu es brillante, Mae. Tu es ce que Stenton et Bailey espéraient depuis le début. »

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Algax à Diesse

C’est bien de fréquenter les salles d’exposition renommées et les grands musées, mais je trouve intéressant de visiter aussi des expositions plus modestes d’artistes qui n’ont pas – et n’auront probablement jamais – la renommée des plus grands.

Algax (alias Alfred Gygax) expose en ce moment à la maison de paroisse de Diesse une partie de sa production des dernières années. Il pratique surtout la linogravure et entretient un rapport intéressant avec les peintres classiques, à qui il emprunte des motifs qu’il retravaille jusqu’à la plus grande simplicité possible des lignes et des surfaces.

Détail

La première simplification est le passage de la couleur au noir et blanc. La deuxième tient à la technique, la linogravure, qui consiste à ôter de la matière jusqu’à ce qu’il ne reste que l’essence de la figure.

Les œuvres présentées trouvent leur originalité tout en conservant l’allusion aux classiques. Algax s’autorise des combinaisons, des montages et des rapprochements qui ne sont pas sans humour.

D’autres œuvres explorent des directions différentes, mais il ne reste que deux jours pour découvrir Alfred Gygax – 40 ans de recherches… sur un Plateau : samedi et dimanche 5 et 6 novembre de 10 à 17h.

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«Le problème, avec le papier, c’est que ça anéantit tout effort de communication»

« Quand tu fais du kayak, qu’est-ce que tu vois ?
– Je ne sais pas. Toutes sortes de choses.
– Des phoques ?
– Bien sûr.
– Des otaries ?
– La plupart du temps.
– Des oiseaux de mer ? Des pélicans ?
– Oui. »
Denise tapa sur sa tablette. « OK, je fais une recherche là, pour voir s’il y a des traces visuelles de tes sorties en kayak. Et je ne trouve rien.
– Oh, je n’emporte jamais d’appareil.
– Mais comment reconnais-tu toutes les espèces d’oiseaux ?
– J’ai un petit guide. C’est juste un truc que mon ex-petit ami m’a donné. Un petit guide pliable sur la faune locale.
– C’est juste une brochure ou quoi ?
– Oui, enfin, c’est waterproof et… »
Josiah soupira bruyamment.
« Je suis désolée », fit Mae.
Josiah leva les yeux en l’air. « Non, je fais une digression, mais le problème avec le papier c’est que ça anéantit tout effort de communication. Ça empêche toute continuité. Tu regardes ta brochure, et ça s’arrête là. Ça s’arrête à toi. Genre tu es la seule qui compte. Mais imagine, si tu documentes ta recherche. Si tu utilises un outil pour t’aider à identifier les espèces d’oiseaux, chacun pourra en profiter. Les naturalistes, les étudiants, les historiens, les gardes-côtes. Tout le monde saurait, alors, quels genres d’oiseaux se trouvent dans la baie à tel ou tel moment. Ça m’énerve de penser à la quantité de savoir qui se perd au quotidien quand on manque à ce point d’ouverture d’esprit. Et je ne veux pas dire que c’est égoïste, mais…
– Si. C’était égoïste. Je le sais », avoua Mae.

Dave Eggers, Le Cercle, Gallimard, 2016, pages 197-198.

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Roni Horn démultipliée

La Fondation Beyeler expose en ce moment des œuvres de l’artiste américaine Roni Horn dans des installations qui interrogent la question de l’identité.

Qui suis-je ? Ma carte d’identité me le dit, je suis celui dont la photo et le nom figurent sur ce rectangle de plastique. C’est rassurant, le document établit clairement mon identité – mais pour 10 ans au maximum. La mienne devra être renouvelée dans quatre ans. Qui serai-je alors ?

Ce qui est identique est ce qui reste pareil à soi-même, sans changement, le même hier, aujourd’hui et demain. Les poètes n’y croient guère. Vous connaissez Mignonne, allons voir si la rose… Vous avez entendu Juliette Greco en chanter la version mi-vingtième : Si tu t’imagines, fillette, fillette, xava xava xa, va durer toujours, la saison des za, saison des amours, ce que tu te goures, ce que tu te goures !… Pas besoin de Ronsard ni de Queneau parolier pour s’en rendre compte. Je ne suis plus le même à 65 ans qu’à 45 ou à 25, et cela ne tient pas seulement à l’expérience que j’ai acquise. Pourtant, je ne cesse pas d’être moi-même, et c’est là le plus mystérieux.

Roni Horn approche l’identité par plusieurs chemins. Il y a d’abord ces portraits photographiques accrochées deux par deux, qui opposent l’enfance et l’âge mûr, le masculin et le féminin, l’insouciance et la préoccupation – jusqu’à ce qu’on remarque que c’est toujours la même personne qui est photographiée, Roni Horn, justement.

Dans une autre salle, Th Rose Prblm, elle joue sur deux expressions célèbres : Come up smelling like a rose (à peu près : tire-toi de cette situation frais comme une rose) et une phrase de Gertrude Stein : A rose is a rose is a rose. Tirer son épingle du jeu, c’est s’en sortir indemne, comme on était avant. Pour sa part, la triple identité de la rose selon Stein dit assez qu’elle est bel et bien rose (…mais Ronsard nous a prévenu qu’elle va se faner). L’accrochage est un festival de découpages des mots coloriés, hachés, remontés, qui dissolvent le sens qui continue pourtant, de loin, de se rappeler à nous. Les deux mêmes phrases sont répétées du début à la fin, déclinées en différentes couleurs, découpées et remontées à chaque fois de manière unique. Identité, éclatement, mais scrupuleusement dans l’ordre des couleurs de l’arc-en-ciel.

Avant de relire Différence et répétition de Deleuze, on peut encore visiter quatre autres salles qui continuent l’exploration de la variabilité. Les grandes photographies de la surface de l’eau d’un seul et même fleuve, la Tamise, dans différentes situations météorologiques ; les vasques de verre de cinq tonnes chacune aux colorations différentes, qui projettent des ombres spécifiques et dépendantes de la lumière et du passage des visiteurs, etc.

Les œuvres ici rassemblées datent des vingt dernières années : c’est dire si la question préoccupe Roni Horn. La dernière salle paraît plus anecdotique : elle rassemble des photographies d’objets différents qui ont un seul point commun : tous ont été offerts à l’artiste dont la présence, j’allais dire la permanence, apparaît en creux.

Un avantage de ces installations est qu’elles sont à peu près désertes, car tout le monde vient pour voir l’exposition phare, consacrée au Blaue Reiter. On a ainsi l’occasion de se laisser imprégner par ces explorations d’identités différentielles sans être dérangé par les classes d’école qui passent en courant. Utile si on veut prendre le temps de méditer sur qui l’on est. On se rassure finalement en se disant que Roni Horn, dont l’exposition multiplie les facettes, a présidé elle-même à l’agencement de tout l’éventail. Elle le tient solidement.

N.B. J’ai aussi visité l’exposition du Blaue Reiter (excellente) et j’en ai ramené une gomme, en guise d’hommage à Robbe-Grillet.

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Mon roman en version 2

Je viens de terminer la version 2 d’un roman que j’ai commencé d’écrire il y a quatre ans sur un coup de tête, sur l’envie d’écrire autre chose que des essais ou des articles, de laisser la philosophie pour me mettre à un thriller. Le déclencheur a été la lecture de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, le roman de Joël Dicker, que j’ai trouvé agréable, divertissant, superbement construit. Je me suis convaincu que j’étais capable d’en faire autant. C’est présomptueux, mais ça aide à démarrer.

Le manuscrit secret

Le manuscrit a connu des pannes. Ce n’était pas un projet prioritaire, mais trois choses m’ont aidé à ne pas le lâcher. La première est la conviction qu’il vaut mieux écrire quelque chose de nul que rien du tout. Un premier jet merdique (Anne Lamott, dans Bird by Bird, parle de shitty first draft) est un point de départ à partir duquel on peut travailler. On renonce donc à le détruire. La deuxième a été la surprise que je me souciais réellement de mes personnages; ils ont grandi et évolué à la mesure de ma préoccupation pour eux. La troisième est la sourde certitude que quoi que je fasse, quelle que soit mon occupation professionnelle et la manière dont je perds mon temps, je suis fondamentalement un écrivain, que l’écriture est à la racine de mon identité, que je dois lui donner enfin la place qui lui revient.

Cette version 2, je vais la réviser avant de la donner à lire à deux ou trois personnes de confiance. Elles me donneront leur avis avant que je me risque à chercher un éditeur. Si le retour de ces premiers lecteurs est négatif, j’en resterai là et je commencerai autre chose. Le plus probable est qu’ils me donneront des pistes pour améliorer l’œuvre – ou la sauver du désastre. On en reparlera.