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Surréalisme

L’attentat de Boston nous choque, et pourtant il y a des dizaines d’attentats chaque année dans le monde plus meurtriers que celui-là. Qu’a-t-il de particulier ?

On imagine sans peine les marathoniens épuisés qui terminent leurs 42 kilomètres, attendus par leurs amis et leur famille venus les féliciter et se réjouir avec eux. Soudain, deux bombes explosent. Trois morts, du sang partout, des cris, des larmes, des dizaines de personnes grièvement blessées, dont plusieurs devront subir une amputation. Des bombes sales, faites pour tuer ou causer des blessures très graves, pour semer la désolation, placées là où la foule est la plus dense, là où elles peuvent causer le maximum de ravages.

Après l’attentat (image Keystone)

La plupart du temps, les attentats ont un côté par lequel on croit pouvoir les saisir : ils servent à défendre une cause, à démoraliser une population, à assouvir une vengeance, à affaiblir un pouvoir. Ils sacrifient des êtres humains qui n’ont absolument aucune part à leur combat pour donner de l’impact à leurs revendications et faire pression par la crainte qu’ils comptent bien inspirer. Au risque du ridicule (qui ne tue pas, au contraire des attentats), il faut rappeler que c’est parfaitement immoral. Pour Kant, instrumentaliser un autre être humain ou, selon des termes plus proches des siens, ne pas respecter l’humanité chez les autres et chez soi-même, utiliser des hommes et des femmes simplement comme des moyens en vue d’obtenir quelque chose, c’est exactement l’immoralité. Elle est dans les attentats, mais aussi dans les prises d’otages, et même dans les grèves de la faim, où le gréviste instrumentalise sa propre humanité pour faire pression sur les autorités, qui ne cèdent d’ailleurs pas toujours.

Pour en revenir à l’attentat de Boston, on ne sait pas encore qui l’a commis, ni pourquoi. Il n’a pas été revendiqué, comme si on voulait donner l’impression d’une fatalité, d’un événement sans auteur, sans motif, sans justification. Cette incertitude ajoute un caractère d’inquiétante étrangeté à l’horreur qu’on éprouve. On ne comprend qu’une chose : voilà le mal à l’état pur, dans toute sa hideur. Nous n’avons même pas matière à porter une condamnation morale et c’est ce qui le rend un peu surréaliste, dans le mauvais sens du terme. Je pense à la fameuse phrase qu’André Breton n’a pas craint de publier en 1930 :

L’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule.

Eh bien, nous vivons une époque tout simplement surréaliste.