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Le mensonge

C’est ennuyeux de revenir sur une affaire dont tout le monde parle, mais comment faire autrement ? Ce qui me sidère dans l’affaire Cahuzac, c’est l’aplomb de cet homme. Durant des mois, dans les occasions et les lieux les plus solennels, il menti avec une constance impressionnante. Je lisais, j’entendais ses dénégations (je regarde peu les informations télévisées) et je me demandais pourquoi on s’acharnait sur lui alors qu’il affirmait clairement qu’il n’avait pas de compte à l’étranger, et qu’il ne variait pas dans ses déclarations ? Peut-on construire une accusation sur la base d’une conversation téléphonique enregistrée il y a plusieurs années, alors que la voix change entre le moment où on se lève et celui où l’on se couche, même si, c’est vrai, son timbre a quelque chose d’unique ?

Circonstance aggravante, ministre délégué chargé du budget et de la lutte contre l’évasion fiscale, il s’est rendu coupable de ce qu’il devait réprimer chez ses concitoyens. Pas bon pour sa crédibilité, ni pour celle du gouvernement auquel il appartient. Mauvais pour la confiance dans le monde politique, très mauvais pour la démocratie.

Il faut se réjouir de ce qu’il a été démasqué grâce au travail des journalistes de Mediapart. Se réjouir de ce que le mensonge éclate ainsi au grand jour. On a envie de citer l’Évangile : il n’est rien de caché qui ne sera connu, entendu au grand jour et proclamé sur les toits. Dans le cas de Jérôme Cahuzac, c’est fait et bien fait.

Mais il n’est pas facile de lutter contre le découragement quand la trahison morale atteint un tel niveau. Que dire à ceux et celles qui entonneront le refrain du « tous pourris » ? Comment empêcher que des électeurs, littéralement démoralisés, ne portent leur choix sur les extrêmes de l’éventail politique, où on ne manquera pas de promettre un grand nettoyage et des solutions aussi radicales qu’illusoires, mais destructrices des libertés ?

Quand Montesquieu raconte l’histoire des Troglodytes dans les Lettres persanes (lettres 11 à 14), il se désole de ce que les gens demandent un roi parce qu’ils sont fatigués de devoir être vertueux dans leur démocratie idéale. Ce sera au roi d’être vertueux pour tous. Aujourd’hui, les rois sont désignés lors des élections, et ils ne sont guère vertueux. Leurs ministres non plus.