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Religion et politique

Et si Dieu avait quand même tous les droits?

Dieu a-t-il des droits en politique (3)

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Dieu a perdu ses droits en politique avec la Déclaration des Droits de l’homme et la fin de la monarchie de droit divin, mais les attentats contre Charlie-Hebdo et les tueries du 13 novembre dernier remettent en question des droits humains et l’universalité des valeurs des Lumières.

Dans les sociétés occidentales, Dieu n’a donc aucun droit en politique, sauf pour l’islam et les djihadistes qui s’en font les défenseurs auto-proclamés. Mais qu’en est-il d’un point de vue chrétien ? Reprenons la question à partir de ce qu’on peut lire dans la Bible, là où Dieu n’est pas un être suprême plus ou moins vague, mais un Dieu personnel, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu qui s’est révélé ensuite plus complètement en Jésus-Christ.

(Le développement qui suit doit beaucoup à une conférence de Robin Reeve, « Radicalité chrétienne et volonté hégémonique », en ligne ici.)

Tous les droits

Lisons le début du psaume 119 :

1 Heureux ceux dont la conduite est intègre, ceux qui marchent suivant la loi de l’Eternel!
2 Heureux ceux qui gardent ses instructions, qui le cherchent de tout leur cœur,
3 qui ne commettent aucune injustice et qui marchent dans ses voies!
4 Tu as promulgué tes décrets pour qu’on les respecte avec soin.
5 Que mes actions soient bien réglées, afin que je respecte tes prescriptions!
6 Alors je ne rougirai pas de honte devant tous tes commandements.
7 Je te louerai avec un cœur droit en étudiant tes justes sentences.
8 Je veux respecter tes prescriptions: ne m’abandonne pas totalement!

Ce passage, et quantité d’autres avec lui, montre que Dieu a des droits, qu’il a même tous les droits. Encore plus fort, c’est lui qui dicte le droit, qui fixe la loi, qui donne ses instructions, ses décrets, ses prescriptions, ses commandements et ses justes sentences.

A contrario, on peut interpréter le péché du premier homme et de la première femme comme l’expression de leur volonté de devenir comme Dieu (ou comme des dieux), connaissant le bien et le mal, autrement dit décidant souverainement du bien et du mal. La politique étant la mise en application de valeurs qui reposent sur une conception déterminée de ce qui est bon ou mauvais, elle est clairement de l’ordre de la Chute. Elle consiste à mettre en œuvre une autre loi que celle de Dieu, et dans ce sens, la politique est le lieu du mal. Il n’y a pas à s’étonner qu’elle soit si souvent décevante.

Monarchistes absolus

Quand nous prions le Notre Père, la prière même que Jésus a enseignée à ses disciples qui lui demandaient comment ils devaient prier, que faisons-nous ? Nous demandons à Dieu de réparer notre politique en disant Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Le Nouveau Testament annonce le règne hégémonique du Christ. C’est aussi pourquoi Dieu l’a élevé à la plus haute place et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom afin qu’au nom de Jésus chacun plie le genou dans le ciel, sur la terre et sous la terre et que toute langue reconnaisse que Jésus-Christ est le Seigneur, à la gloire de Dieu le Père (Philippiens 2:9-11). Cela va très loin et c’est présent dans de nombreux textes. Dans la parabole du bon grain et de l’ivraie est annoncé un tri final qui va clairement exclure du monde. Apocalypse 21 annonce une cité qui ne sera ouverte qu’aux seuls inscrits dans le Livre de Vie. Les exclus vont au devant d’un châtiment violent. Aucun pluralisme dans le royaume de Dieu. Jésus est subversif, il se présente comme LE chemin, LA vérité et LA vie, il déclare que nul ne peut aller au Père que par lui. Jésus n’est pas du tout relativiste. Il n’a rien d’un apôtre du consensus.

Bref, si nous étions cohérents avec nos prières, nous devrions êtres des monarchistes absolus appelant le royaume de Dieu sur la terre. Certains courants chrétiens sont d’ailleurs de cet avis.

La politique de Jésus

Mais regardons-y de plus près, et considérons l’attitude de Jésus et de ses disciples par rapport à la politique de leur temps, telle qu’elle est rapporte dans le Nouveau Testament. Quelques observations:

  • Jésus refuse l’usage de la violence pour la défense de la foi : tous ceux qui prendront l’épée péririont par l’épée, dit-il
  • Paul prône la soumission aux autorités dans Romains 13 : les autorités ont été établies par Dieu. Elles limitent le mal, elles sont en ce sens au service de Dieu. Paul ne donne en revanche aucun blanc-seing à telle autorité plutôt qu’à telle autre
  • Jésus paie l’impôt du Temple (on rêve de payer ses impôts en allant chercher la somme due dans la gueule d’un poisson comme le fait Pierre en arrière-plan dans la fresque de Masaccio). Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu, dit-il également.
Le tribut à César, peinture de Masaccio
Masaccio, Le paiement du tribut, Florence, chapelle Brancacci
L’Église du Nouveau Testament est également intéressante par son attitude à l’égard du pouvoir politique. Le théologien pacifiste Vernard Eller caractérise ainsi l’attitude de l’Église dans son livre Christian Anarchy (disponible en ligne) :
  • elle ne cherche pas à légitimer le pouvoir politique
  • elle ne cherche pas à combattre le pouvoir politique
  • elle ne cherche pas à se rendre honorable aux yeux du monde
  • elle ne donne pas de directives sur la gouvernance du monde
  • elle croit que Dieu accomplira sa volonté, indépendamment de l’aide que le pouvoir pourrait lui apporter.

Résumons : pas de lobbying politique dans le Nouveau Testament, mais la prière pour les autorités afin qu’il n’y ait pas de persécution et pour que la liberté de culte soit préservée. Cette soumission est cependant limitée, car l’objection de conscience est réservée.

En conséquence, rien de ce que nous venons de voir ne permet pas de justifier un régime totalitaire chrétien. Il n’y a aucune volonté hégémonique sur le plan politique.

Alors quoi ?

Comme souvent avec la foi chrétienne, nous nous trouvons devant une difficulté. Nous avons évoqué des passages qui militent en faveur d’une monarchie absolue, d’une théocratie sans compromis, et nous venons d’observer que Jésus et ses disciples ne paraissent pas se mêler de politique.

Nous prions Que ton règne vienne ! mais Jésus dit à Pilate que son royaume n’est pas de ce monde. On pourra juger que c’est une contradiction supplémentaire de la Bible, ou dire qu’on se trouve devant un paradoxe. Voyons un peu.

Mon royaume n’est pas de ce monde, dit Jésus. On est tenté de comprendre que son royaume est ailleurs, dans un autre lieu. Mais ce n’est pas certain, car lorsque les disciples de Jean-Baptiste viennent demander à Jésus s’il est celui qui doit venir ou s’ils doivent en attendre un autre, que répond-il?

Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles recouvrent la vue, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Heureux celui pour qui ne ne serai pas une occasion de chute ! (Mt 11.4-6)

Cette réponse manquerait de netteté si nous ne la mettions pas en rapport avec la première prédication de Jésus à Nazareth dans Luc 4.18-21, quand il ouvre le livre du prophète Esaïe et lit le passage où il est écrit

L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour guérir ceux qui ont le coeur brisé, pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres; il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libre les opprimés, pour proclamer une année de grâce du Seigneur. Puis il roula le livre, le rendit au serviteur et s’assit. Les yeux de tous, dans la synagogue, étaient fixés sur lui. Alors il se mit à leur dire : Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture, que vous venez d’entendre, est accomplie.

Si ce n’est pas une déclaration politique…

Bref, le royaume de Dieu est là : Si c’est par l’Esprit de Dieu que moi je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc parvenu jusqu’à vous, dit encore Jésus (Mt 12.28).

Il se passe donc des choses qui ne peuvent se comprendre que parce que le Royaume de Dieu a commencé, parce qu’il est déjà effectif. Les guérisons, les délivrances, les libérations, les miracles ne s’expliquent que par l’action de l’Esprit de Dieu. Les conséquences sont observables dans le monde, mais les causes ne le sont pas. L’Esprit souffle où il veut et n’est pas plus visible que le vent.

À suivre pour élucider ce dernier point.

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